Opale Windergrad
“Que son âme repose en paix”.
Une dernière prière. Opale avait une place de choix. Du premier rang, elle pouvait voir le visage livide de son père à travers le cercueil de verre, orné de magnifiques dorures. Ce cercueil, c’était elle qui l’avait choisi. Et comme tout ce qu’elle choisissait, cette boîte, pourtant macabre, reflétait toute la richesse que sa famille possédait. Elle le devait. Car ce cercueil, comme tous ceux des monarques précédents, allait être exposé dans le temple derrière l'immense cathédrale dans laquelle elle se trouvait en ce moment-même. Alors elle ne pouvait déshonorer son père en ne choisissant qu'un simple coffin de bois, alors même que ses ancêtres reposaient dans de magnifiques et luxueuses tombes. Pourquoi faire? Pour n'économiser qu'un dixième à peine de toute sa fortune? Non. Ça aurait été une insulte à son père, et à sa famille toute entière.
La jeune femme jeta un rapide coup d’oeil derrière elle. Ils étaient des milliers dans cette immense et luxuriante cathédrale. Des milliers à se recueillir pour la mort d’un homme qu’ils ne connaissaient qu’en tant que “chef”. Certains pleuraient. C'était ridicule. C'était rageant. Pourquoi pleuraient-ils? Pourquoi, eux,
Opale se tenait fièrement, serrant dans ses deux mains un sceptre en or, garni de pierres précieuses bleues. C’était celui de son père. Ce bâton opulent avait été conçu tout à fait au goût de son géniteur. Encore aujourd’hui, Opale se souvenait très bien d'avoir aidé, alors qu’elle n’avait que 5 ans, à choisir quelles pierres allaient décorer cet objet. Et à présent, elle allait devoir enfermer ce souvenir avec son défunt père. C’était la dernière fois qu’elle pourrait toucher cet objet de ses propres mains. La dernière fois qu’elle pourrait sentir le relief de l’or sculpté sur ses doigts... Et cette pensée provoqua chez la jeune femme un léger pincement au coeur.
Après la dernière parole du prêtre, Opale se déplaça vers le magnifique cercueil. Son charisme et sa démarche fière avaient le pouvoir d’animer le coeur de n’importe qui. C’était au delà de la magnificence de la robe qu’elle portait. Bien au delà de tous les riches bijoux qui décoraient sa peau. Une démarche adroite, un visage pâle,une posture droite, et des gestes doux. Elle avait tout pour se faire remarquer, et c’était indéniable. Même si sa personne pouvait ne pas être appréciée, il était incontestable que la présence d’Opale dégageait une certaine aura, quelque chose qui attirait infailliblement l’attention.
Si elle avait été seule dans ce lieu sacré, elle aurait sûrement fondu en larme. Mais Opale se devait de rester sage, avec ce visage fermé, comme si rien ne pouvait l’atteindre. Comme si la mort de son père n’était tragique que pour tous ces gens à l’arrière qui sanglotaient comme s’ils l'avaient connu toute leur vie. Pathétique. C’en était presque provoquant, toute cette fausse tristesse. D’un geste extraordinairement doux, Opale avait ouvert le cercueil avant de glisser la relique sur le torse de ce qui fut son père. Elle l’avait regardé fixement. Son père était parti. Définitivement parti. Ce corps, ça n’était plus lui.
Elle n’avait aucune raison de s’y attacher. Alors elle avait simplement refermé la boîte de verre, débordant de roses rouge, avant de faire face à toute la foule. Après quelques secondes, elle s’était finalement décidée à lever légèrement le bras afin de faire le signe que voulait le rituel. L’index pointé vers les ciel, et les autres imitant une cascade. “Requiescat in pace”. C’est sur ces derniers mots que la cathédrale se vida. Elle avait, d’une voix légèrement tremblante, annoncé la fin du recueillement. Enfin. Enfin ils allaient tous partir. Seuls son frère et ses deux soeurs étaient restés. Il fallait déposer le cercueil dans le temple où tous les corps des anciens reposaient. Le seul soulagement qu’Opale avait, c’était de savoir que le corps de son père ne serait pas détérioré, comme les autres, par le temps. Et pour ça, il fallait remercier les techniques modernes. Le cercueil serait injecté d’un gaz à la dernière minute, avant d’être définitivement scellé, permettant de garder le corps intact presque éternellement. Ou du moins, pendant de nombreuses années.
•BlackWidow
Toute la fratrie fut finalement réunie dans le sanctuaire. Opale pouvait ressentir cette horrible sensation d’oppression. Ses visites ici ne changeaient pas. Elle ressentait cette même suffocation infernale. Son frère, le plus âgé des 3 autres semblait insensible à tout ce qui arrivait. Tandis que ses soeurs avaient les yeux remplis de larmes, lui affichait un air plus impassible qu’Opale elle-même tentait de garder. C’en était presque effrayant. Maintenant qu’elle allait devenir Reine, Opale devrait s’attendre à tout. Même à une trahison de la part d’un membre de sa famille. Elle savait que le frère de son père avait déjà essayé de le tuer pour prendre la place sur le trône. Même si penser d’ores et déjà à la tromperie d’un frère relevait probablement de la paranoïa, la jeune femme ne pouvait s’empêcher de penser à l’importante place qu’elle occupait désormais et, qu’évidemment, elle ne voulait perdre. La tradition voulant que le premier né, qu’il soit homme ou femme, soit l'héritier direct du trône, Opale devait donc assurer le rôle que lui réservait la tradition. Un rôle auquel elle s’était préparée pendant toute sa jeunesse. Et la jeune femme savait pertinemment qu’à partir de maintenant, rien n’allait être facile. Et ça n’était pas dû au fait qu’Opale soit une femme. Bien que ce cas de figure, pour une raison bien mystérieuse, arrivait rarement, les gens d’ici étaient bien peu nombreux à vouloir à tout prix d’un Roi au sens premier du terme. Mise à part les très vieux protectionnistes, elle savait qu’elle n’avait pas énormément de soucis à se faire là-dessus. Non, son plus gros travail, ça allait être de satisfaire tous ces gens… Et à commencer par son père. Elle allait continuer dans sa lignée. Elle savait que c’était la meilleure chose à faire. D’ailleurs, elle était pratiquement sûre de savoir tout ce qu’il voulait faire. Elle n’avait plus qu’à vérifier dans son bureau qui lui était désormais en accès libre. En fait, ça allait même devenir son bureau. Enfin, c’était dans la théorie… Opale savait qu’elle n’aurait pas la force de travailler dans cette pièce où elle avait passé plusieurs heures à chanter pour son père, où étaient réunis la plupart de ses heureux souvenirs… Non. Elle allait se faire son propre bureau. C’était mieux ainsi. Pour garder la mémoire de son père intacte.
Un dernier chant, afin que l’homme mort repose en paix. Afin qu’il puisse entendre une dernière fois ses enfants chanter pour lui, comme ils le faisaient quand ils étaient petits. Et les hommes d’Église posèrent le lourd coffin aux côtés du corps inerte de sa femme, morte elle aussi il y a plus de 4 ans. Ces deux cercueils étaient les plus beaux. Et Opale souhaitait seulement qu’ils restent ici, côte à côte jusqu’à ce que le monde vienne à s’écrouler.
Les derniers honneurs achevés, toute la fratrie avait rejoint le château, et, la première chose que fit Opale, fut de se rendre dans la salle de travail de son père, laissant ses deux soeurs de 14 et 17 ans seules, aux côtés du précepteur de la jeune femme. Quand elle y pensait, ce dernier, qui s’était occupé d’elle pendant de longues années, allait devenir son conseiller, comme l’avait voulu son père. Comme l’avait voulu la tradition. Il avait toujours respecté la tradition. Et Opale aussi, allait maintenir cet héritage en vie. Elle allait penser avant tout à la sécurité de la nation. À la survie du Beau Royaume. Et sur ce dernier point, la jeune femme était confiante. Son Royaume était immortel, et, peu importe les épreuves qu’il pouvait endurer, il allait toujours se relever. 22 ans, c’était tôt pour perdre son père. Et encore plus tôt pour être à la tête de tout une nation… Mais Opale avait la certitude d’être apte à régner. La jeune femme était persuadée que la mort de son père n’avait pas détruit son Royaume et que, même après cette douloureuse tragédie, Windergrad allait de nouveau resplendir. L’hégémonie de la famille n’était pas prête de cesser, et encore moins avec Opale à la tête d’un tel domaine. Elle était désormais la femme la plus puissante du Royaume, et comptait bien redonner à ses terres la magnificence qu’elles méritaient. La jeune femme était plus que déterminée à rendre sa toute puissance à ce magnifique Royaume, et elle savait que cela commençait par le peuple. Satisfaire la population était essentielle si elle voulait avoir une bonne place dans le cœur des gens. Opale allait devoir être aimée par la grande majorité des citoyens, et c’était ce sur quoi elle allait travailler en premier.
Son nom n’était pas prêt de tomber.