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 Cheik Dæmonius Deus Consus Devotio

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“Que la lumière guide tes pas. Et n’oublie pas: Transit umbra, sed lux permanet”

 

Sur ces vertueuses paroles, Cheik venait de ramener son dixième patient aux portes colossales de la somptueuse Cathédrale. Si le terme de patient ne paraissait pas le plus approprié dans la profession qu’exerçait Cheik, c’était pourtant tel quel que ces gens se présentaient à lui. Par un subtil syllogisme, les visites de ces souffrants faisaient du jeune prêtre, un médecin d’une renommée incontestable. Et il aimait se dire qu’au milieu de tous ces véritables médecins de profession, Cheik s’avérait être la seule autorité capable de soigner les maux les plus douloureux de ces miséreux. Parce qu’il était la seule puissance véritable ici. Il était le prêtre dont les messes étaient le plus suivies, le prêtre dont les vertueuses paroles étaient les plus écoutées... Et c'était peut-être parce que tout le monde croyait en lui.  Tous voulaient croire aux beaux mensonges que Cheik jetait fièrement du haut de son autel, comme s’ils voyaient en lui un nouvel espoir. Un espoir pour une vie plus belle. Et ce jeune prêtre, par l'espérance d’une divinité immatérielle, supérieure à tous, qu’il plaçait en chacun, s’était attiré l’amour du peuple. Le réel Dieu, c’était lui. Comme un homme qui balançait quelques sous au plus insignifiant des infortunés, Cheik était un rempart contre la misère, contre la solitude et contre le désespoir. En se présentant comme l’unique représentant de cette divinité dans ce Royaume, il avait d’abord attiré la curiosité, puis l’admiration. Plus qu’en la divinité elle-même, on vouait un culte à Cheik. Car, même si toutes les messes s’organisaient autours d’une multitudes de prières et de chants, tous destinés à la paix de l’âme et à l’appel fait à cette divinité suprême, c’était en dehors de ces cérémonies que l’on admirait Cheik. Et cette admiration n’était pas due au hasard. D’ailleurs, pour ce jeune prêtre, cette adoration qu’on lui vouait était juste, et plus encore, elle devait exister. Parce que Cheik amenait la prospérité. Il éloignait les esprits des ténèbres, et apportait la lumière. Et ces miracles étaient avérés. Si lors d’une audition, le dévot venait à parler d’un quelconque mal être, d’une angoisse, d’une souffrance, Cheik élaborerait une liqueur “sacrée”, qu’il assure bénie par la divinité elle-même. Par quelques gorgées de cette sainte boisson, accompagné de quelques prières pour garder l'illusion du miracle religieux, tous les maux dont le dévot souffrait disparaissaient comme par enchantement. Par des allusions au sacré, Cheik, simple intermédiaire, faisait reposer cette guérison sur le dos de la divinité. Audaces fortuna juvat [La fortune sourit aux audacieux], et, audacieux, il l’avait été. En justifiant les miracles qu'il engendrait, qui relevait bien plus de la magie qu'autre chose, par la religion, en assurant qu'il n'avait que le rôle de médiateur entre la diviniré suprême et le peuple... Il certifiait que Dieu existait. Oui, Dieu existait, et, loin d'être un sorcier, ses pouvoirs témoignaient de sa proximité avec cette divinité chimérique. Ses pouvoirs relevaient du divin, et tout le monde en était persuadé. Cheik était seulement le porte-parole de Dieu, un homme voué à apporter la paix sur les hommes, accompagné par Dieu lui-même dans cette tâche noble et ardue.

 

Mais il n’y avait pas plus beau mensonge que celui-ci. Aucun être immatériel, d’une puissance inestimable n’existait. Cheik en était persuadé. S’ils croyaient en cet être, c’était de leur ressort. Le jeune prêtre avait seulement usé de l'immense pouvoir que ces croyances avaient sur le peuple afin de cacher sa véritable nature. S’il était effectivement un sorcier, ces êtres magiques tant pourchassés par les monarques et craint du peuple, Cheik avait tout intérêt à justifier ses pouvoirs aux yeux de tous pour ne pas avoir à se cacher. Oui, ses pouvoirs étaient un véritable problème, surtout pour la vie qu'il avait toujours voulu mener. Vivre, au milieu de tous, sans éprouver la crainte constante de se faire arrêter et accuser de sorcellerie... Cela avait presque semblé impossible. Mais au final, la solution, il l'avait bien vite trouvée. Et, comme l’avait espéré le jeune homme, elle avait fonctionné. Tout ce beau peuple l’avait cru, parce qu’il était l’homme de la divinité créatrice. Ces gens l'avait cru, et voulaient le croire parce qu'il rependait le bien, et éloignait la souffrance. Tous s'attachaient à cette idée réconfortante d'un homme de Dieu, une créature magnifique capable de guérir les maux les plus profonds. Encore maintenant, il en riait. Il avait, grâce à cette subtile fabulation, réussi à se mettre tous ces gens en poches, y compris les plus riches. Y compris le Roi. Et tout ça faisait de lui l’un des hommes les plus puissants de Windergrad. Tous avaient un respect inestimable pour cet homme qui semblait mener une vie médiocre pour vouer sa vie aux plus démunis, aux plus souffrants. Chacun semblait apprécier ce sourire presque angélique qu’il gardait constamment sur son visage… D’un ange, oui, il en avait l’air. Mais ses intentions différraient de l’image qu’il reflétait. Tout ce qu’il souhaitait, c’était un contrôle sur la forteresse. En soi, il l’avait déjà. Il était tellement populaire auprès des villageois que cela revenait, pour lui, à la forteresse toute entière entre ses mains. Mais il voulait aussi effacer la concurrence des autres Église. Même s’il se trouvait dans le plus grand lieu de sacre du Royaume, il voulait aussi que toutes ces petites Églises soient entre ses mains. Parce que pour le moment, elles étaient toutes indépendantes. La seule force qui pouvait encore les contrôler, c’était le souverain. Mais Cheik avait décidé que toutes les Églises devraient être soudées. Ne faire qu’une, sans aucune idées divergentes. Pour cela, il fallait contrôler l’entièreté de la population. Et ce contrôle, il l’avait presque déjà. Tous ces gens qui l’avaient déjà consultés étaient désormais sous son emprise. Ils avaient tous pu constater à quel point Cheik était pur. S’il devait y avoir un homme d’Église compétent, et porteur de la parole divine, c’était bien lui. D’ailleurs, les quatre noms de famille qu’il portait étaient présents pour le prouver. Daemonius pour le Merveilleux. Deus pour le Dieu. Consus pour la providence qui porte les sages conseils. Et devotio pour dévotion que porte Cheik envers Dieu et le peuple. Seulement, ce nom de famille à quatre particules n’est là encore, qu’une belle affabulation pour rendre son mensonge plausible. S’il n’a aucun ascendant encore vivant pour contester la véracité de ses propos, et il a d’ailleurs bien veillé sur ce dernier point, Cheik se revendique d’une vieille famille paysanne. Pour le jeune prêtre, la manipulation mentale était la clef parfaite pour atteindre son but. Et aujourd’hui, profondément enraciné dans son mensonge, il ne regrette rien. Toute cette vie qu’il dit mener est même sa plus belle fierté. Au final, tous ses mensonges avaient un but bien précis. Étendre sa toute puissance sur tout le Royaume, tout en baignant dans l’opulence, certes, mais aussi, ce qui était la motivation initiale de toutes ces fables, garantir sa propre sécurité.

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Cheik avait ordonné à l’un des hommes d’Église présent de fermer les portes et de ne plus prendre aucune consultation. Sa journée s’arrêterait là et, de toute façon, il n’était pas directement payé au nombre de patients qu’il soignait, bien que le système de dons marchait plutôt bien. La question de l’or était de ressort de l’État, qui distribuait lui-même les richesses au corps de l’Église. Et Cheik avait une part appétissante du gâteau, si ce n’était pas la plus grosse. Il se trouvait d’abord à la tête du monument saint le plus puissant et le plus imposant du Royaume, mais, de plus, était un homme d’Église important et reconnu par le Roi lui-même. Cheik incarnait la puissance presque absolue au sein de l’Église, et baignait désormais dans l’opulence. Et de ce luxe, il ne s’en lassait pas. Il lui fallait toujours plus. Toujours plus d’or. Toujours plus pouvoir, de prépondérance au sein de la hiérarchie religieuse… Et malgré tout ce qu’il avait déjà, malgré la place de choix qu’il occupait, malgré tout l’or qui l’entourait, Cheik en attendait encore plus. À 27 ans seulement, tout ce qu’il possédait ne le satisfaisait pas. Il voulait toujours plus de pouvoir, toujours plus d’argent. Il espérait sans cesse que le Roi distribue davantage à l’Église, que les dons des misérables gens du peuple soient toujours plus généreux. “Aurea mediocritas”, l’idée de la médiocrité dorée n’était jamais bien loin derrière lui. Vivre caché sous les apparences d’une vie tout juste satisfaisante, cachant l’opulence pour éviter tout désagrément venant de l’extérieur… C’était exactement la vie que menait Cheik. Car même s’il coulait sous les somptuosités de sa richesse, le jeune prêtre n’en montrait rien. L’Église est pauvre. L’Église est vertueuse. L’Église se satisfait de sa foi. Alors, s’il fallait sauver les apparences d’une Église Sainte pour maintenir l’admiration que l’on éprouvait pour lui, Cheik, était prêt à mentir. Et cette couverture du jeune homme pieux et sage sous laquelle il s’était étouffé, il pourrait la maintenir encore longtemps pour satisfaire son avidité. La faim qui le tiraillait était insatiable. Si elle était condamnable pour beaucoup, Cheik la supportait avec plaisir, et n’était pas prêt de l’abandonner. Toutes les belles choses prohibées par ces saintes vertues que Cheik défendait publiquement étaient déjà en sa possession. Alors, si son appétit, pourtant moralement impropre, restait insoupçonné de tous, que pouvait-il bien en avoir à faire de cette moralité?

 

“ Auri sacra fames [exécrable faim de l'or], tu ne l’es que pour les autres, mais moi, je t’aime! “

•BlackWidow

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