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Néant.

Et tout était enfin fini. Céleste avait enfin achevé ce combat harassant contre la mort. Même s’il n’était pas sorti triomphant de cette bataille, il savait que, dans ce sommeil éternel, il y trouverait la paix. Ça n’était pas une défaite, mais une véritable libération. Alors que l’apaisante obscurité l’aveuglait, alors que le rythme infernal des voix rauques de ses assaillants laissait place au silence réconfortant, Céleste se sentait glisser en dehors d’un corps trop lourd pour lui. Tous ses sens semblaient l’avoir quitté. Privé de toutes sensations, il ne souffrirait plus. Après tout ce qu’il venait de traverser, on lui devait au moins ça. Mais il éprouvait une certaine crainte. Pourquoi sa mort durait-elle aussi longtemps? Pourquoi la petite flamme qui l’animait encore ne s’éteignait-elle pas? S’il avait perdu toute sensation physique, les sentiments, eux, ne semblaient pas l’avoir quitté. Et si Dieu existait? Si, pendant toutes ses années d'existence, Céleste n’avait pas cessé de croire en Dieu, il avait été pris d’un doute redoutable lors de ses derniers jours de vie. Les ultimes instants de souffrance insoutenable avaient poussé le jeune homme à soupçonner l'inexistence de ce bon Dieu. Ce Dieu qui l’avait laissé souffrir, ignorant ses appels et ses prières pour que tout cela cesse… Mais bon chrétien qu’il avait été durant sa courte vie, le jeune homme était certain d’obtenir le salut. La mort n’était qu’un passage. Un passage qui le mènerait dans un monde meilleur. Un monde sans plus aucune souffrance. Et il était prêt. Prêt à quitter son corps, cette enveloppe charnelle dans laquelle il fut prisonnier de bien des maux. Seulement, le temps semblait long. Il ne voyait toujours aucune lumière. Ni halo doré, ni Dieu, ni nuages. Rien ne ressemblait aux représentations colorées qui ornaient fièrement les murs des Églises. Aucune couleur qui pouvait lui rappeler les nombreuses peintures mettant en scène Jugement dernier. Rien. Le noir absolu. Néant.

"Mais où vais-je?"

Céleste s’était retrouvé avec la désagréable sensation d’avoir voyagé à travers de multiples temps et univers. C’était indescriptible. Une étrange sensation de tout connaître, sans se souvenir de rien hantait son esprit. Et son effrayant voyage avait semblé durer une éternité. Une éternité pendant laquelle il avait une averse de sentiments détestables, semblables à la souffrance qu’il avait subi dans ses derniers jours de vie, s’était abattue sur lui. Mais enfin, enfin  l’environnement inconnu s’était baigné peu à peu d’une très faible luminosité. Mais cette lueur n’augmenterait pas plus. Ce serait l’éternelle pénombre. Allait-il errer ici pour l’éternité? Allait-il au moins subir son Jugement dernier? La question semblait vaine. Mourir était encore pire que vivre. Prisonnier dans cette endroit terrifiant, Céleste, désormais immatériel, était condamné à errer ici, sans plus aucun but. Mais peut-être pire encore, il avait toujours en lui cette pénible souffrance qui frappait son âme. Et elle ne voulait pas se stopper, ni même diminuer. Cet insupportable souvenir du supplice qu’il avait eu à subir ne voulait pas le quitter. Il se jouait à répétition, mêlant sentiments et émotions dans l’esprit de Céleste. L’immatérialité de son être, conjurant la moindre des sensations physiques, ne semblait pourtant pas empêcher les sentiments de déferler dans son âme. Et c’en était épuisant. Il était vide de joie. Vide de plaisir. Seulement rempli de douleur, de haine, et de souvenirs. Il était mort en souffrant, et souffrirait encore même après son décès. L’impérissable supplice.

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"Pourquoi, pourquoi je suis mort?"

 

C’était une question qu’il s’était longuement posée. Il n’avait que ça à faire. Il avait longuement erré dans ce monde effrayant et sans fin. Infini comme sa peine. S’il avait péri autrement, cela se serait-il passé différemment? 1792. Il maudissait cette année, qui avait causée sa perte. Il maudissait ces révolutionnaires, avec leur soif de “justice”, leurs revendications bien pensantes au profit du peuple. Ces même révolutionnaires qui, trois ans auparavant, établissaient une monarchie constitutionnelle, avaient prononcé la déchéance du Roi. La Terreur venait de naître, en même temps qu’une haine profonde envers la noblesse et l’Église. Et Céleste avait eu la malchance de naître fils de parents nobles. Sans le connaître, on lui vouait haine et mépris. Alors même qu’il était l’incarnation presque idéale de la bienveillance et de la gentillesse, ce garçon, toujours souriant, prêt à obéir et à aider ses parents, avait été la triste victime de crimes injustifiés et monstrueux. Alors que la plupart des nobles avaient déjà fui Paris dès 1789, sa famille, elle, n’avait pas jugé bon de partir. Erreur. Sa demeure pillée, ses parents tués, Céleste avait été emporté comme un vulgaire trophée. Un trophée que l’on avait par la suite torturé pour se distraire. Les pires supplices avaient été exercés avec amusement sur le jeune homme, qui avait prié jour et nuit pour que tout cela cesse. Mais cela n’avait jamais cessé. Et ce, même jusqu’à maintenant, alors que son corps n’était plus matériel, cette douleur ne s’était pas achevée. Une douleur qui n’était plus physique, mais psychique. Quelque chose qu’il n’arrivait pas à expliquer. Comme s’il était possible de ressentir une douleur, supposée physique, mentalement. À 20 ans, Céleste était mort en souffrant, et son esprit continuerait de souffrir, pour toujours.

L’éternelle souffrance

Pour lui et pour les autres. Sa seule présence provoque, pour ceux qui se trouvent à proximité de son esprit, un sentiment de peine immense et intense. Pire encore, lorsqu’il est irrité, l’entourage peut ressentir de fortes douleurs physiques, à la torture qu’il a subit. Mais Céleste est faible, et, s’il peut volontairement causer douleurs et autres maux intolérables, son énergie à tendance à baisser à grande vitesse, faisant ainsi souffrir son âme encore plus. Cela fait désormais près de 230 ans que Céleste erre en vain, au milieu du Royaume duquel il est tenu prisonnier. 230 ans à espérer qu’un jour, Dieu revienne à lui, et lui offre le salut. Un espoir qui a duré trop longtemps. Un espoir qui, petit à petit, se consume par la tristesse qui l’envahit.

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“Révolution, à toi qui à causé ma perte,  je me vengerai”.


 

Céleste de Lazar; 1772 - 1792

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