On raconte que, par delà ces hautes montagnes, après ce rempart naturel contre les démons des forêts, erre une jeune femme. Au milieu de cette immense étendue d'arbres, dans ces bois où l'homme ne peut retrouver son chemin, vagabonde une créature à la magnifique chevelure rousse. Décoiffée, et décorée de centaines de feuilles et de fleurs, la crinière à l'éclatante couleur orangée se balade de bois en bois, sans jamais se perdre. Elle se déplacer à travers cette immense, à la recherche d'âmes curieuses, foulant ce sol tapissé de feuilles et grouillants d'insectes. Ce sol dans lequel touts ces choses immobiles, mais pourtant bien vivantes, puisent leur énergie. La légende décrit cette créature comme une jeune humaine, à la beauté certaine, mais pas absolue. Si elle ne possédait pas une beauté absolument magnifique, elle aurait cependant quelque chose d'envoûtant. Est-ce peut-être cette touffe d'une couleur si éclatante? Est-ce peut-être ce regard de renard, ou encore ces fines chevilles toujours dévoilées, ces pieds nus découverts en tout temps? Dans tous les cas, il est dit que cette femme pourrait t’emmener dans ces profonds bois, pour que tu y erre à tout jamais, comme elle est forcée de le faire. Suit-la, et tu seras perdu pour toujours.
Certains disent l'avoir vu de leurs propres yeux, d'autres les accusent de mensonges. Cette jeune femme est un mystère, et le restera sûrement, comme toutes les légendes. Quelques hommes assurent l'avoir aperçu près de leurs champs, ou encore aux abords de leur maison, les bras chargés d'aliments. Certains affirment avoir été témoin d'un meurtre commis par cette créature. Quoiqu'il en soit, que cette rumeur soit avérée ou non, n'y va pas, petit. Cette légende est récente, et, même si elle intrigue, elle ne peut être prise au sérieux. Mais dans tous les cas, ne t'enfonce pas dans ces bois où tu te perdras sûrement. T'aventurer là-dedans ne fera pas de toi un enfant courageux, seulement un inconscient fini, qui perdra la vie bien tristement.
- Depuis quand existe ce mythe? Comment s'appelle-t-elle, la créature? Est-ce une humaine, ou un monstre? Tu peux la raconter encore?
- Ce n'est qu'une rumeur, bien plus qu'une légende. Tout ça ne date que de douze ans. C'est peut-être un an après la fin de la guerre civile, celle qui a ravagé notre village douze ans plus tôt, que certain ont commencé à parlé d'une fillette aux airs sauvages, rodant près de leurs terres, volant leurs maisons... Enfin, ces gens étaient bien rares à affirmer ces choses. Plus nombreux étaient ceux qui pensaient avoir vu une jeune rouquine s'enfuir au fin fond de la forêt lorsqu'ils s'approchaient d'elle. Alors, de ces quelques paroles, la rumeur s'est vite formée, traversant le village tout entier. Tous voulaient croire qu'un esprit rodait dans les bois, séparés du village par cette imposante chaîne de montagne. Après tout, avec les tragiques événements, tous avaient besoin de décompresser. Alors, de magnifiques affabulations ont commencé à voir le jour. De plus en plus de personnes disaient avoir vu la fillette qui, au fur et à mesure des années, prenait de l'âge. Oui, dans les témoignages donnés à travers les âges, cette créature semblait grandir, en même temps que les hommes. Folklore ou pas, esprit ou humain, cette rumeur est désormais bien ancrée dans la la tête des habitants. Et quelque part, tous éprouvent une certaine fascination pour cette fille, née de la fin de la guerre civile. Certains y voient un esprit protecteur, d'autre, le démon responsable de la guerre, qui, avait la fin de cette dernière, serait allé se réfugier dans la forêt, où personne ne pourrait le chercher. Tous s'amusent à trouver et créer des histoires pour expliquer la présence de cette jeune femme, et ses quelques apparitions aux abords de certaines maisons. C'est certainement devenu la rumeur la plus célèbre de notre village, et personne n'y semble vraiment insensible...
- Et toi? Tu l'as vue, cette créature? Elle est jolie? Quel âge aurait-elle? Et tu y crois, à cette rumeur?
- Je ne crois que ce que je vois, et, pour l'instant, je n'ai jamais vu cette rouquine de mes propres yeux! Quant à sa beauté, on dit qu'elle serait assez atypique. Une beauté ne rentrant pas dans les critères communs. Plus que belle, elle est souvent décrite comme étant envoûtante. Aux airs sauvages, certains racontent avoir eu l'étrange impression de se trouver en face d'un renard à la forme humaine. Dans tous les cas, elle est dépeinte comme une jeune femme à l'allure de chasseuse et au fascinant regard sournois, capable de courir à une vitesse que des hommes comme toi et moi ne pourraient pas atteindre, ou encore faisant preuve d'une agilité surprenante... Oh oui, toutes ces descriptions participent à l'engouement que tout le monde éprouve pour cette histoire. Certains la représentent sur des toiles, la dessinent en fonction des théories qu'ils veulent croire, d'autres en font des comptes pour enfants. C'est fascinant, et cela fait rêver. Au fond, cela ne m'étonne pas que cette histoire ait été créée après cette guerre. Les gens avaient seulement besoin de rêver, de s'évader... Et les paroles d'un homme un peu fou ont permises aux habitants de fuir d'une horrible réalité, en inventant un magnifique mythe. Selon les différents témoignages, elle aurait en ce moment entre 17 et 20 ans. Ce n'est vraiment plus la fillette que tout le monde décrivait il y a un peu plus de dix ans. Le plus fascinant dans tout cela, c'est cette persévérance à faire vivre la rumeur. Chacun veut y apporter son grain de sel, en témoignant, en théorisant, en apportant des "preuves"... L'esprit humain me fascine vraiment.
- Et si tout cela était vrai? Si elle existait vraiment?
- Si tout cela était vrai, alors pourquoi si peu de preuves vraisemblables ont été apportées? Personne n'a pu ramener une mèche de ces magnifiques cheveux, qui semblent tant éblouir? Évidemment, si cette créature est un esprit, alors aucune chose matérielle venant d'elle ne peut être apportée... Mais tout de même. Crois-tu aux esprits, toi? Ne penses-tu pas que cette rumeur, n'est rien de plus qu'une jolie histoire, une fable que l'on compte aux enfants pour les dissuader d'aller se perdre dans ces bois? Ne penses-tu pas que cette rumeur n'a été créée que pour soulager les esprits, faire oublier les terribles souvenirs de la guerre aux habitants? C'est ce que personnellement, je pense. Aucun esprit ne vit dans cette forêt. Aucun humain, pas même cette jeune femme rousse ne vagabonde dans ces bois. Tout ça n'est qu'une merveilleuse affabulation pour faire rêver les petits, et les grands. Pour faire oublier des souvenirs dont personne ne veut en garder la mémoire. Mais, ces explications n'enlèvent rien à la beauté de cette histoire. Elle est ancrée dans l'histoire de notre village, et y restera certainement pendant un moment.
La douce lumière de l'aube inondait les bois d'une apaisante lueur orangée, et teintait les épines des hauts et majestueux sapins d'une magnifique couleur dorée. La nature s’éveillait et le soleil commençait doucement son ascension, sortant alors de leur sommeil quelques biches encore couchées sur cet élégant tapis de feuilles, lui aussi doré par cet astre magistral. Le chant des oiseaux devenait de plus en plus distinct, donnant ce côté apaisant à l'atmosphère déjà bien calme qu'offrait le matin et ses tendres couleurs. À chaque nouveau jour qui se levait, la nature semblait renaître. Bien loin de l'atmosphère mystérieuse de la nuit, bien loin de ces bois immergés d'une brume aussi fascinante qu'effrayante, de cette pénombre aussi calme qu'angoissante dans laquelle cette immense forêt se trouvait noyée, le matin était toujours quelque chose d'aussi apaisant. Les journées avaient beau se répéter, ce cercle éternel était toujours aussi merveilleux. Chaque matin était différent du précédent, et chaque matin provoquait l’émerveillement de la petite rousse face à un tel spectacle. Elle avait toujours cette douce et sécurisante sensation d'appartenir pleinement à cette scène qui se déroulait devant ses yeux brillants. Elle vivait, tout comme ces fleurs qui ouvraient à nouveau leurs pétales pour accueillir la douce lumière du soleil. C'était beau. C'était beau, et elle remerciait chaque jour le soleil de lui laisser cette merveilleuse chose qu'était la vie. Cette chose aussi magnifique que dure, mais qu'elle chérissait pourtant tant.
La chasseuse se trouvait accroupie, les mains en avant et posées sur ce doux tapis de mousse, sur lequel était éparpillé un arc-en-ciel de feuilles colorées. Comme un prédateur, elle attendait. Elle attendait que sa proie, cette grosse grenouille verte, sorte de sa cachette. Une grenouille qui lui servirait de petit-déjeuner, accompagné de divers champignons et de quelques baies. Un repas satisfaisant, qui lui permettrait de tenir le temps de préparer son repas suivant. Tandis qu'elle l'observait, le petit être vert semblait reprendre confiance en son environnement. Persuadé que le danger venait de quitter les lieux, il sortit calmement du trou pris comme cachette. Une erreur fatale. En une demi seconde, l'être se retrouva pris aux pièges dans les mains impitoyables de la chasseuse rousse. Dommage pour cette grenouille, mais que pouvait-elle y faire? Elle aussi, devait manger. Pour elle aussi, la vie était dangereuse. Peut-être même plus lorsqu'elle devait passer de l'autre côté de la montagne. Peut-être plus lorsqu'elle devait se rendre dans ces drôles d'habitations, où des créatures lui ressemblant comme deux gouttes d'eau vivaient. Des créatures bien plus dangereuses qu'un loup. Oui, son instinct lui criait de ne pas les approcher. Mais en même temps, ils avaient tellement de choses à manger qu'il était bien plus facile de risquer sa vie pour quelques fruits plutôt que d'attendre toute la journée pour attraper un poisson à mains nues.
La jeune chasseuse se dirigeait désormais vers son abri. Cette petite cavité dans laquelle elle avait élu domicile. Là, elle était là l'abri. Et là, elle pouvait jouer avec le feu sans mettre en danger cette belle forêt. Cette forêt dont elle connaissait les moindres recoins. Cette forêt qui n'avait plus de secrets pour son excellente mémoire. Une mémoire dont les souvenirs de sa vie se résumaient à cette forêt. Oui, c'était comme si elle avait toujours vécu ici, avec comme seule compagnie, le chant des oiseaux et le bourdonnement des insectes. Une vie qu'elle appréciait. Une vie dont elle appréciait les dangers et les risques auxquels elle se frottait parfois volontairement. Une vie dure mais qu'elle n'échangerait pour rien au monde. Voir ce soleil se lever dans ces bois n'avait pas de prix. Et de toute façon, elle ne connaissait rien d'autre. Alors, pourquoi souhaiter quelque chose qu'on ne connaissait pas?