KYOUKI KANEKO
La démence d’un être perdu, à tout jamais. Ce garçon est insauvable.
"Tuez-le, ou c'est lui qui vous tuera."
“Fils du démon! Tu es perdu, esprit malade !”
Malade. Malade, il était "malade". Un mot qui résonnait inlassablement dans son esprit, entre chaque coup que lui portait son père. Des coups qu’il ne méritait pas. Une violence injustifiée qui ne resterait pas impunie, Jūzō pouvait le jurer. Se faire battre de la sorte? Et surtout, par cet homme? Impensable. Inconcevable. Inadmissible. “Tu seras puni, crois-moi.” Où pensait-il aller, cet être portant l’illégitime titre de père? C’était pitoyable, cet homme qui s’obstinait à croire aveuglément que ce petit humain de 18 ans était le sien... Mais Jūzō, lui, n'était pas aussi lamentable. La vérité, il la détenait. Une vérité aussi blessante qu’incontestable. Une vérité que personne n’aurait dû ignorer, et pourtant, que chacun s’amusait à dissimuler, à commencer par le gardien lui-même de cette sombre réalité: sa mère. Oui, sa mère n’était pas mieux que le malheureux borné, bien au contraire. Cette minable femme, aussi frivole qu’un papillon en plein printemps, avait réussi à tromper tout son petit monde. Tout le monde, sauf Jūzō. Dommage. Mais il l’avait toujours su, qu’il n’était pas celui que l’on voulait faire croire. Non, il n’était pas ce garçon, ce protagoniste des affabulations de sa mère, au même titre que cet homme lamentable n’était pas non plus son père. Non, sa mère était si frivole qu’il aurait pu être le fils de n’importe qui. Une légèreté condamnable, qui avait privé ce pauvre enfant de son authentique identité. Mais au fond, il savait. Il savait qui il était. Il savait ce qu’il aurait dû être. Et par dessus tout il savait que ce “père” n’était pas celui qu’il prétendait être. Et pour tout ça, il blâmait sa mère et tous ses mensonges, merveilleusement dépeint au monde entier. Oui, et pour tout ça aussi, il condamnait son “père”, cet homme idiot et obstiné qui tentait encore vainement, et avec une volonté de fer de lui inculquer de piètres valeurs dont il n’avait que faire. Des valeurs inutiles, qui ne correspondaient pas à ce qu’il était. Tous voulaient le façonner, par des manœuvres, des valeurs, des bonnes mœurs… Et des mensonges. Et il en voulait à tous ces gens-là. À cet homme incapable d’ouvrir les yeux. À sa mère. Oui, à elle aussi, il lui en voulait. Il lui en voulait de ne jamais avoir été sérieuse dans la moindre des petites choses qu'elle aurait pu entreprendre. À 18 ans, le jeune homme avait l’infernale sensation de n’être qu’un mensonge. Une illusion. Une belle fable que l’on voulait faire croire à quiconque serait curieux de l’entendre. Mais puisque chaque récit devait avoir une fin, le sien s'achèverait ce soir même. Cette crédulité que portait cet homme décoré du titre de père allait s’évanouir, en même temps que cet amas de chair. Plus jamais il ne pourrait lever la main sur Jūzō. Perdre la vie dans la souffrance, c’était tout ce que cet homme méritait. Après ça, personne ne pourra jamais plus réciter ces contes mensongers, conter ces mille fables fallacieuses… Personne ne pourrait jamais plus lui dire comment agir, quoi faire, que faire, qui être… Il serait enfin libre. Libre d’être lui. Libre de ne plus être ce garçon, ce Jūzō inventé de toutes pièces par une société de “bonnes mœurs”… Oui, tous les mensonges s'achèveraient enfin ce soir-même, avec l’extinction de cette âme pitoyable et de ses reproches incessants. Des réprimandes honteuses sur Jūzō lui-même, pour ses actes jugés condamnables, répréhensibles, et absolument immoraux... Et ce soir, ces actes étaient bien la cause de toute cette violence injustifiée. On voulait l'effacer, le façonner, le voir disparaître sous des mensonges de plus en plus perfides... Les actes commis, il ne les regrettait pas. Parce qu'ils étaient la preuve de ce qu'il était vraiment. Une démonstration de sa véritable identité. De ce qu'on avait toujours voulu lui faire oublier. Alors, c'était après toutes ces violences injustifiées, qu'il allait montrer à tous ces individus qui tentaient vainement de lui apprendre comment exister celui qu'il était réellement... Et il le jurait, les actes de l'après-midi ne seraient qu'un jeu enfantin face à ce qui les attendait... Ah ça, oui, il le jurait...
“Monsieur Kaneko? C’est très grave. Votre fils a été surpris en train d’étrangler à mort l’un de ses camarades. Je vous prie de venir le chercher immédiatement!”
Un appel du proviseur. Un père paniqué, débarquant dans un bureau où régnait une atmosphère bien particulière... Un long discours. Un trop long discours. Une exclusion temporaire. Le silence jusqu'à la voiture... Puis, une seule question. Une seule question que l'homme osa poser. "Est-ce que tout cela est vrai?" Si c'était vrai? Oh oui. Oui, il avait bien commis cet acte, et, y repensant, il ne pouvait que sourire. Dans les toilettes, on l’avait surpris en train d’étrangler l’un de ses camarades. Peut-être pas à mort, mais du moins, jusqu’à l’effroi total. Oui, jusqu’à ce que la pauvre victime ait la conviction que sa vie s’arrêterait ici même, dans ces sanitaires mal nettoyés, au sein d’un établissement scolaire peu réputé… Mais voilà. Un petit curieux avait décidé d’ouvrir la porte. Quelle erreur. Le visage de Jūzō, rivé sur l’intru, s’était fendu d’un large sourire. Un sourire qui ne laissa pas à l’auteur de la découverte le sang-froid. Après être resté quelques secondes pétrifié dans l’encadrement de la porte, le jeune homme avait disparu, complètement horrifié par sa sombre trouvaille. Seulement, l’idiot revint quelques secondes plus tard, mais accompagné cette fois. Le proviseur. Sous le choc, la paralysie semblait les avoir touchés tous les deux. C’était si jouissif, de lire la peur sur ces deux visages pétrifiés. Et, lorsqu’on lui avait finalement sommé d’arrêter, d’une voix aussi tremblante que celle d'une victime sur le point de se faire tuer, Jūzō avait seulement affiché un large sourire en coin. Quelques secondes de sourire glaçant, avant d’attraper les cheveux de la victime, et de venir éclater sa tête sur le rebord du lavabo, sans détourner ses yeux, emplis d’une certaine excitation, du proviseur.
“Étrangler à mort”. Et ça les avait étonné? Ça n’était pourtant pas la première fois qu'il s'abandonnait à des activités de ce genre, bien au contraire. Même si aucun membre du personnel n’en était réellement conscient, cela n’était évidemment pas le cas des élèves de l’établissement. Les effrayer, les terroriser. Ils le méritaient. Parce que c'était si amusant. Si amusant de voir qu'au fur et à mesure de l'année, personne ne voulait plus traîner avec lui. Si amusant de voir que tous le craignaient. “Souffrez, craignez. Mais si vous parlez, alors vous n’aurez plus jamais à me craindre. Ni moi, ni personne d’autre. La mort ou la crainte. Alors, que choisissez-vous?” Il avait enfin trouvé qui il était. Pendant 8 ans, il avait entretenu ce jardin fascinant qu'était son esprit. Et il avait fini par comprendre. Malgré tous les mensonges qu’on lui dépeignait, malgré toutes ces fables qu’on lui contait, ces fables desquelles il était le “vaillant” protagoniste… Jūzō avait enfin compris qui il était. Il était celui craint de tous. Celui que personne ne voulait voir. Le vilain des vieux contes. Celui qu'on ne souhaite pas qu'il vive. "Le malade". Oui, son "père" avait trouvé les mots justes, pour une fois. Oui, pour une fois, on ne lui mentait pas. Il était celui que la société refusait, celui que la société, pour se dissocier de ces êtres, pour se rassurer, nommait "les malades". Mais la vérité, Jūzō l'avait enfin trouvé, au travers de toutes ces années. Sa mère, par tous ses vices, avait privé son propre enfant de son identité. De père, il n’en avait pas, et celui qui s’était dressé comme tel avait, par de piètres mensonges, voulu façonner l’identité de ce même enfant. L’école. Les camarades. Les amis. Les étrangers. Tous avaient voulu lui dire comment agir. Comment être, qui être, quoi faire pour ressembler à un individu lambda. À commencer par la présence d'un père. Mais Jūzō ne faisait pas partie de cette généralité. Il était différent, et il le savait. Désormais, il en était persuadé. Était-ce vraiment mal? Non, car il avait trouvé ce qu'il était, et c'était bien tout ce qui importait. Bientôt, il pourrait enfin être lui, celui qu'il aurait toujours dû être. Mais pour cela, il devait renaître. Car, ses parents, en lui inventant une identité, avaient enfermé dans une immense boîte vivante ce qu'il était réellement. Et pour renaître, pour faire s'effondrer la merveilleuse fable, il devait briser cette boîte. Et cette boîte, il le savait, c'était son père. Il devait le tuer. Le tuer pour vivre... Le tuer pour renaître.
"Que croyais-tu, père? Ah, qu’est-ce que cela fait, de se faire appeler père au seul moment de sa mort? Au fond, j’ai compris de quoi, et de qui tu étais le père. Oui, tu n’es rien d’autre que le père d’une fable. Le père de Jūzō, ce protagoniste inventé de toutes pièces, dont l’unique but était de survivre face au monstre que j’étais réellement. Et vous pensiez, toi et maman, que ça allait marcher? Je suis le destructeur de votre fable, je suis ce que vous avez toujours voulu cacher derrière votre personnage, celui que avez nommé Jūzō. Et c’est ce soir que tout s’écroulera. Pour vous, et pour Jūzō. Tout recommencera à zéro. Tout. C’est la Renaissance d’un être, face au déclin d’un autre. Alors, cette fable là, te plaît-elle? Non? Dommage! Car c’est bien plus qu’une simple fable! Ce qui se passera ce soir, c’est l’enterrement de votre mensonge! C’est l’éclatement de la vérité aux yeux de tous! C’est la Renaissance de l’être que Jūzō a vainement tenté de faire disparaître! C'est ce soir que la Terre verra naître en son sein la tâche de l'Humanité! L'être dont la vérité était trop souvent manipulée! L'être que personne ne souhaitait voir va éclore, celui que chacun a tenté de cacher sous un masque! Oui, ce soir, Jūzō disparaîtra en même temps que ses pitoyables créateurs, pour laisser place... À la Folie elle-même!"
C'était ce soir que tout allait s'achever. L'effondrement d'une vie, pour la naissance d'une autre. Tous ces parasites qui emprisonnaient son identité, il fallait les tuer. Les éradiquer, les éliminer pour que lui, s'éveille enfin. Il n'y avait pas d'autres solutions. La seule issue à son éveil, c'était la mort. Il fallait tuer l'homme borné. Cet idiot aveugle, co-auteur de l'illusion fièrement façonnée, qui devait disparaître, en même temps que ses mensonges. Et puis sa mère. Coupable de la privation de la précieuse identité, et créatrice de la fable... Oui, ces deux êtres devaient périr. Ces deux êtres qui avaient cultivé Jūzō en lui inventant une histoire, un caractère, des comportements à adopter... Oui, au lieu de faire s'épanouir l'être qui vivait à l'intérieur de leur protagoniste, ils avaient voulu le modeler. Et pour ça, ils devaient périr. Mais ils n'étaient pas les seuls. Car enfin, il fallait le tuer, lui. Jūzō. Tuer Jūzō. L'être victime de toutes les affabulations possibles et imaginables. Symboliquement, Il devait mourir. Simuler sa propre mort, pour leur faire comprendre à tous que celui qu'ils avaient connu était mort. Jūzō n'existait plus. La victime du récit s'était transporté dans une autre histoire. Mais cette histoire n'était pas une fiction. Non, Jūzō reprendrait vie, dans cette réalité bien plus sombre qu'était son existence. Sa véritable existence, et non pas celle qu'on avait toujours fait miroiter, à lui, et aux autres. Une réalité où la retenue n'existerait pas. Parce qu'il avait fini de se chercher. Malgré tout ce qu'on lui avait caché, il s'était trouvé. Il savait qui il était. Libéré du mensonge, il ne laisserai plus aucune illusion lui faire obstacle. Et personne n'était prêt. Parce qu'il n'était plus le personnage d'une jolie fable. "Ah, sombre et merveilleuse réalité qu'on a essayé de me cacher! Mais je la connais, la vérité! Et croyez-moi, vous allez le regretter!"
"Oh ce regard d'effroi. Affiche-le autant que tu veux, je m'en régale!"
18 ans. 18 ans à peine, et la folie semblait déjà avoir envahi son être. Aucune trace de pitié, seul un sourire glaçant déformait son visage. Le regard enragé et déterminé, un seul but l'animait désormais: découper cet amas de chair qui retenait son identité prisonnière. La fin, pour un nouveau départ. La destruction sauvage d'une vie, pour la reconstitution d'une autre. C'était beau, et c'était à cet instant même que tout débuterait...
1. 2. 3... 4. 4 coups. Quelle fragilité. Son enveloppe corporelle venait déjà de rendre l'âme. C'était presque pathétique. Mais une certaine beauté se dégageait de ce pathétisme. Peut-être parce qu'il se sentait déjà lui? Enfin, presque lui. Parce qu'il ne pourrait retrouver pleinement son identité que lorsque Jūzō aurait disparu aux yeux du monde. Alors il fallait simuler. Son sang devait couler. Comme s'il avait été tué. Comme s'il avait vulgairement été traîné par terre, en direction de l'extérieur. Comme s'il avait disparu à tout jamais, dans cette sombre nuit. Quelle belle illusion. Et sa mère serait la pauvre accusée de cette tragique fable. L'arroseur arrosé, en quelque sorte. Ils avaient voulu jouer? Mais ils ne faisaient pas le poids face à Jūzō. Ou du moins, face à l'être qui vivait à l'intérieur de ce Jūzō. Et finalement, c'était ce soir que tout rentrerait dans l'ordre. Aux yeux de tous, il venait de disparaître. Le père? Décédé. Jūzō? Mystérieusement disparu. La mère? Condamnée à mort, pour double meurtre. Désormais, il était lui. Et le meurtre qu'il venait de commettre avec excitation, était sans aucun doute le premier d'une longue série... Il le savait, il était né pour ça. Pour l'effondrement, la panique la terreur, le crime... Pour tout ce que l'Humanité condamnait. Il devait semer le chaos, l'effroi, la crainte au milieu de tous ces êtres fébriles. Il était tout ce que la société réprimait, tout ce qu'elle tentait vainement de dissimuler, de mettre de côté de refaçonner à son image... Mais c'était fini. Il allait leur montrer à tous, qu'il n'était pas moins vivant qu'eux. Qu'ils ne l'empêcheraient pas d'être lui-même. Il était celui que la société avait échoué à façonner. Pourquoi? Car il est impossible de dresser la folie. N'était-ce pas évident? Et c'est alors ce soir, en s'enfuyant dans les bois, en perdant la vie aux yeux de tous, que la société se retrouvera avec l'insanité même, celle qu'elle avait échoué à faire taire, en son sein. Car enfin ce soir, il avait retrouvé cette identité qu'on lui avait confisqué. Désormais, il était libre. Libre d'agir en conformité avec son identité.
Car la folie, c'était lui.
Les cris, qui avaient auparavant inondé le salon d'un agressivité sans pareille, s'étaient soudainement évanouis, laissant désormais place à un calme des plus étonnants. Mais ce calme ne régnait pas dans l'esprit de l'homme, qui se tenait immobile et silencieux, au beau milieu de la pièce. En proie à d'innombrables interrogations qui rongeaient son être, une peur peut-être irrationnelle s'élevait en lui. Une crainte qui semblait submerger son corps tout entier, au point qu'il ne fut même plus capable de bouger. Les jambes engourdies, il ne pouvait plus rien faire. Paralysé, il était paralysé. Et c'est au milieu d'un silence troublant, que le bruit d'une lame, glissant délicatement sur les tranchants en acier des couteaux désordonnés, tinta jusque dans le salon. Un tiroir brusquement fermé. Puis plus un bruit. Un silence terrifiant inondait à nouveau la maison. Seule une forte respiration d'angoisse trahissait la présence de l'un des habitants. Et la terreur de cet habitant était bien loin d'être déraisonné...
« Q-Qui es-tu? »
“Kyouki. Kyouki Kaneko.” Et sur ces mots, son visage se fendit d'un sourire terriblement malsain.
Depuis une bonne trentaine de minutes maintenant, alors que, comme chaque jours, le jeune homme effectuait le chemin habituel pour rentrer chez lui, l'infernale sensation d'être observé le pourchassait. Une obsession, alimentée par la vision terrifiante, et bien trop récurrente, d'un masque d'Hannya, qu'un passant, une voiture, ou même un arbre laissait apparaître, l'espace de quelques secondes seulement. Un masque effroyable, s'évaporant mystérieusement dans l'air, laissant pour seul souvenir, une vision horrifiante d'un visage démoniaque fixant sa pauvre personne. Hallucinait-il? Est-ce qu'il délirait? Dans tous les cas, c'était infernal, ce vestige d'une image incessante tournant en boucle dans son esprit, bien trop affolé par les représentations terribles qu'il offrait. Et cette fois encore, alors qu'il venait d'entrer dans la dense forêt qui séparait la grande ville de son village, le masque venait de réapparaître dans sa vision, à moitié dissimulé par un arbre. Oui, il l'avait revu. Mais cette fois, cette vision l'avait complètement paralysé. On le suivait, il était désormais presque sûr. Pourquoi? Qui? Comment? Pétrifié, les jambes engourdies par la peur, les entrailles rongées par l'effroi que lui procurait la vue de ce spectre, son esprit se retrouvait hanté par ce masque à la couleur rouge sang. Terrifiant, c'était terrifiant. Devait-il rebrousser chemin? Inutile. C'était inutile. Il avait déjà mis trente minutes pour arriver là, et, avec ce petit bout de forêt qu'il devait traverser, il en avait encore pour quinze bonnes minutes... Quelle idée de rentrer à pieds. Pourquoi n'avait-il pas pris le bus, comme tout le monde dans ce village? C'était impossible. Cette situation était complètement absurde. Cherchant anxieusement un masque, un être, ou même une ombre, la peur commençait à prendre véritablement dessus sur la raison du jeune homme. C'était insensé. Il n'avait qu'une hâte: rentrer chez lui. Alors, par un excès de peur peut-être, ses jambes sortirent de leur léthargie, et retrouvant ainsi la capacité de bouger, se décida à traverser la forêt le plus rapidement possible...
Chaque crissement, chaque bruit de feuille retentissait en lui comme un cri terrible qui hurlait au danger. C'était infernal. Interminable, comme la fin de cette forêt dont il ne voyait pas le bout. Mais, alors que son pied frôla un peu trop bruyamment un galet, le rouge vif du masque traversa à nouveau son champ de vision, l'espace d'une seconde à peine. Et une seconde, c'était déjà bien long. Un frisson glacé caressa tous ses membres, pourtant couverts de textile, jusqu'à se glisser doucement le long de son cou. Un frisson d'angoisse, de peur, d'affolement... Tout ces sentiments semblables se retrouvaient mêlés, et formaient un désagréable mélange. Il aurait voulu courir. Courir droit devant, sans plus se retourner. Mais à nouveau, il se retrouvait pétrifié, comme un idiot moqué au milieu d'une foule rieuse. Et comme un idiot, il avait fait volte face. Volte face, pour se retrouver face à la forêt vide de toute présence, peut-être avec plus d'angoisse encore que si quelque chose était apparu face à lui. Il ne comprenait plus rien. Plus rien du tout. C'était affreux. Infernal. Les battements de son coeur, qu'il entendait résonner, étaient devenu comme un rythme angoissant et intarissable. Aussi infernal que l'on irait jusqu'à se donner la mort pour le faire taire. Il n'en pouvait plus. Il devenait fou. Complètement fou, et cette folie ne semblait pas vouloir cesser...
Quelque chose... Quelque chose était derrière lui. Il le sentait. Il le sentait... Mais il n'avait rien entendu? Brusquement, le jeune homme s'était retourné, persuadé de n'y trouver que la dense végétation de la forêt, et le chemin de terre vide. Erreur. Sa gorge se noua face à la terrible vision qui lui fit face. Le masque. Devant lui. Rouge sang. Son esprit fragile, déjà bien abîmé par tous les tourments qu'il subissait depuis une bonne trentaine de minutes, se laissa envahir par la peur, l'angoisse, et la terreur. C'était un cauchemar. Un véritable cauchemar, et l'individu masqué ne bougeait pas. Enfin, il fallut seulement qu'il le pense pour que ce dernier extirpa, d'une lenteur épouvantable, la lame d'un katana de son fourreau.
"Pitié, non... Non, non non!"
Dans un élan de courage, le jeune homme commença à reculer, dans l'optique de s'enfuir. Il ne pouvait pas mourir maintenant. Pas à cet âge. Pas à 24 ans. Et pas dans ces conditions là. Pas après une telle tourmente psychologique. Mais, aurait-il la force de courir longtemps? Jusqu'à où l'assassin était prêt à le suivre? S'arrêterait-il, une fois la forêt dépassée? Une infinité de questions se bousculaient dans son esprit, accentuant encore un peu plus l'affolement qui inondait son corps. L'étincelle de la brillante lame du katana l'assomma presque, l'aveuglant seulement l'espace de quelques instants. Désormais, il ne supportait plus rien. Plus un mot, un souffle, une lumière. Son corps était sous tension, et la seule chose qui le terrifiait, c'était la mort.
"Tu ne supporte pas bien la pression... Hein? Pauvre être fragile..."
Un rire glaçant s'échappa de l'individu au masque de démon, au milieu du silence pesant que la forêt offrait. Un sourire qui laissa la pauvre victime de marbre. Comme c'était jouissif, cette peur, cette angoisse, cette envie de vivre qui étincelait dans ces deux yeux bruns. Il était aux bord des larmes. Des larmes de peur. Des larmes qu'il aurait probablement eut en se réveillant d'un terrible cauchemar... Et ce cauchemar, c'était lui. Jūzō. Nouvellement... Kyouki. Il était le cauchemar de l'être, la folie qui poursuivait l'âme, qui la plongeait dans un état d'insanité totale... Il était la démence que personne ne voulait voir.
D'une voix tremblante, quelques mots s'évadèrent courageusement de la bouche du pauvre homme. Cet individu apeurés, qui semblait presque comprendre, avec une lueur d'espoir dans le regard, ce qui lui arriverait bientôt. Un espoir qui s'croulerait bien vite, et au fond, lui-même le savait très bien.
"- Que... Mais qui êtes-vous?!
- Appelle-moi Kyouki..!"
Un large sourire, que même le jeune homme aurait pu discerner à travers le masque, décora à nouveau le visage de Jūzō. De Kyouki. Car c'était cela, son nouveau prénom. Un prénom qui signifiait littéralement Folie. Car c'était ce qu'il était. Il était la folie dans son état le plus pur. Car, comme elle, au moment le moins suspecté, il venait s'abattre sur sa victime désemparée et peu consciente du malheur tombant sur elle, la faisant alors plonger dans une abysse de crainte de terreur. Et comme la folie, il pouvait être d'une douceur sans pareille, comme d'une fureur et d'une violence cauchemardesque. Il était ce que le monde avait de pire en son sein. Toutes les imperfections, toutes le tâches de l'Humanité étaient réunies dans ce seul corps. Imprévisibilité, rage, fureur, violence, immoralité et démence... Il était la perfection du mal.
Depuis sa renaissance, Kyouki avait bien évidemment fuit le domicile familial, laissant le passé loin de ses souvenirs oubliés. En deux ans, il avait parcouru tout le pays, non pas à la recherche d'abris, mais à la recherche de victimes. Il frappait n'importe qui, n'importe quand. Imprévisible, et dément. Car la folie n'a pas d'heure. Les terres de son pays connues par coeur, il était vagabond et libre, errant sans craintes en quêtes de ses proies. Une seule préoccupation à l'esprit: leur préparer le pire cauchemar qu'il vivront de toute leur misérable vie.
Alors cette fois, comme à son habitude, il avait arpenté les rues avant de la trouver, cette frêle victime. Oh, rien qu'à voir son allure, il avait pu deviner la fragilité de cette âme. Et effectivement, ça n'avait pas été d'une grande difficulté pour faire disjoncter son pauvre esprit. Cependant, cela avait été bien suffisant pour procurer à Kyouki cette exaltation qu'il ressentait face à la terreur, face à l'horreur profonde qui animait sa victime... Il jubilait de cette vie qu'il avait entre ses mains, de ce pouvoir immense que lui avait conféré la nature. Ce visage déformé par la crainte, il s'en régalait. Animé par cette délicieuse et inarrêtable frénésie, Kyouki avait levé son sabre, pointant désormais la longue lame acérée de l'arme vers la victime. C'était en ce début de soirée que continuait son cauchemar. C'était sur ce sol qu'il rendrait péniblement l'âme. Une âme qui ne manquerait certainement qu'à deux ou trois personnes... Eux aussi vivraient un cauchemar face à cette perte, et elle était là, la beauté du geste...
Un cri. Un début de course. Une chute. Son visage venait d'atterrir dans les graviers coupants du petit chemin de terre. De nouveau, ce même et infernal rire glaçant résonna dans son esprit. Le masque rouge d'Hannya vint s'échouer aux côté du visage ensanglanté du jeune homme, qui sans attendre, s'était retourné afin de déceler le vrai visage de son meurtrier. Un visage déformé par un sourire absolument terrifiant. Un sourire malsain, reflettant toute la démence de cet être... C'était terrifiant. Mais, alors qu'il avait voulu se relever, sa vision se tacha de rouge. Une douleur immense. Une douleur incessante, qui s'intensifiait toujours plus. Elle irradiait tous ses membres, s bien qu'il ne savait plus où est-ce qu'il avait réellement mal. C'était sauvage, c'était d'une violence si infâme qu'il n'avait même plus les mots pour décrire les milliers de sensations infernales qui le faisait souffrir. Après ce qui lui sembla être une éternité, il sentit une nouvelle fois la lame, réchauffée par la chaleur de son sang, s'enfoncer dans sa poitrine puis... Plus rien. Le noir. Le noir complet. Il n'entendait, ni voyait plus rien. Seul ce rire horrifique résonnait inlassablement dans son esprit, jusqu'à ce que tout s'éteigne lentement, dans une souffrance des plus atroces. Peu à peu, il se sentait disparaître. Oui, il disparaissait, comme si quelque chose l'extirpait de ce corps douloureux... C'était donc cela, la fin?
"La folie, c'est moi. Elle est ancrée en moi, et tôt ou tard, elle frappera à votre porte, car rien ni personne ne peut la fuir triomphalement. Vous ne pouvez éternellement lui échapper. Tapie dans l'ombre, elle vous guette, vous observe, et trouvera le bon moment pour vous faire plonger dans cette abysse infernale, mais si magnifique qu'est la souffrance! Oui, croyez-moi, tôt ou tard, vous y goûterez, à ce délicieux supplice!"