« Pourquoi tu ne sors plus? Pourquoi tu es si irritable ? Regardes toi, tu trembles! Tout va bien, Heath? Dans quelle prison t’es-tu enfermée, Heath? Quelles sont ces chaînes qui te retiennent ? Portent elles ce nom fatal, un nom dont les syllabes résonnent en toi comme un air infernal? Se joue t-il cet air en boucle, que tu voudrais pourtant oublier, sans jamais pouvoir le sortir de ta pauvre tête? Les paroles de cet air entêtant sont-elles formées de ce seul mot, un mot effrayant, que tu as pourtant accueilli à bras ouverts, te précipitant inconsciemment dans les siens? Ces paroles qui t’emprisonnent, je les devine. Ces lettres, je les vois. Écoute ce mot, dont tu t’es volontairement fait prisonnier. Il résonne en toi, et tu ne pourras plus t’en séparer. Écoute-le, encore et encore, jusqu’à n’en plus pouvoir. Et même jusqu’à l’écoeurement, tu en redemanderas. Alors, écoute cet air encore une fois. En boucle, en boucle, un cercle infini dont jamais tu ne te séparera. Addiction. Addiction, c’est de ce mot, n’est-ce pas, qu’est formé ce rythme infernal? Addiction. Addiction. C’est dans cela que tu t’es jeté, à bras ouverts? Pitoyable, c’est pitoyable. Alors, écoute, écoute-le, cet air qui, à la fois rythme ta vie, et qui la détruit dans un même temps. Car de cela qu’il s’agit, l’Addiction."
“Comment en es-tu arrivé là?”
C’est un excellente question. Comment? Pourquoi? Moi même, je n’en ai pas les réponse. Je ne me connais pas, je ne sais rien de moi. Pourtant, je dis me connaître. Je me dis être conscient de mes actes, de mes sentiments, et de mes sensations. Mais en réalité, je baigne dans l’illusion. Je suis perdu, et je refuse de l’admettre. Car, la seule chose dont je suis persuadé, c’est d’être heureux ainsi. Mais là encore, est-ce seulement une illusion, ou est-ce la réalité? Je voudrais croire ce dernier point. La réalité. Je vis dans ma réalité. Une réalité que personne d'autre que moi ne ressens. Une réalité chimérique. Je suis perdu, je me suis perdu moi-même. Je veux croire que toutes ses substances dont je nourris inlassablement mon corps, sont données de ma pleine conscience. Que c’est comme au premier jour. Que rien n’a changé. Que ces produits, je les prend de temps en temps, pour m’amuser. Mais ça n’est pas le cas, et même ça, je ne veux pas l’admettre. Je me suis enfermé dans mon propre mensonge. Mais ça n’est rien. Après tout, je suis heureux ainsi, alors pourquoi s’en inquiéter plus que cela?
***
Ah, Heath. Il avait tout d’un garçon innocent. Ce visage candide, cet air pur, ce sourire plein de tendresse... Et encore aujourd'hui, ce visage si doux, bien que marqué par la fatigue et l'instabilité d'une telle vie, parvenait tout de même à exprimer cette innocence. Malgré tous ses actes blâmables et condamnables, ce garçon inspirait encore la candeur et la fragilité. Car au fond, tout cela, il l'était. C’est peut-être même cette innocence qui l’avait poussé dans ce gouffre infernal. Un gouffre dont il ne pourrait plus jamais s'échapper. Mais comment? Pourquoi ce garçon, auparavant si sage, avait sombré dans une existence aussi tragique? Une situation dramatique qu'il refusait d'admettre comme telle. Pour lui, il n'avait pas sombré. Il était resté le même qu'avant. Ou du moins, c'est ce dont il se persuadait lui-même. Ce mensonge qu'il avait façonné, il voulait y croire. Alors, il tenta d'oublier la vérité. Il ne voulait pas la voir. Parce qu'elle faisait mal. Et la douleur, il pensait l'avoir trop subi. Et c'est pour cette raison, pour de se séparer de sa souffrance, qu'Heath avait sombré. C'était à cause de cette nécessité de ne ressentir que du bonheur qu'il avait bravé l'interdit. Un interdit dont il ne pu jamais se séparer. Et même s'il le voulait, c'était bien trop tard. Le mal était fait, et le mal avait envahi son corps. Ce démon qui s'était emparé de lui, dès leur première rencontre, englobait une multitude d'esprits tout aussi malfaisants, à la manière des poupées russes. Et ce démon au nom détestable, c'était la drogue. Un démon qu'il prenait pourtant aveuglément pour un ange. Oui, un véritable ange, qui l'avait sauvé des terribles mains de la souffrance. Alors, il fermait les yeux sur la réalités. Après tout, seules les sensations comptent, n'est-ce pas?
"Je maîtrise tout, ne vous inquiétez pas. Je pourrais arrêter sans problème, quand j'en aurais envie. J'ai le contrôle, je le sais."
Mensonge. Il ne pouvait plus s'arrêter. Car, lorsque la substance ne faisait plus effet, la souffrance qu'il éprouvait était telle qu'il était contraint d'en reprendre. N'importe quoi. Il lui fallait seulement quelque chose qui l'empêchait de souffrir. Cette douleur était surtout psychologique. C'était celle-là qu'il avait toujours voulu fuir. Le trouble de l'âme. La pire à son sens. Alors, oui, le manque lui faisait aussi subir quelques douleurs physiques, mais de ça, il s'en fichait bien. Il ne voulait plus se sentir mal. Cette mélancolie, qu'il avait toujours eu, même depuis enfant, il n'en voulait plus. Alors, il se persuadait seulement que cette souffrance qu'il éprouvait à la fin des effets, était seulement due à son problème de mélancolie. Oui, il se voilait la face à ce point. Il refusait d'admettre que c'était son addiction qui le faisait se sentir ainsi. Accuser ses problèmes d'humeur était bien plus facile. Et après tout, comme ça, il n'aurait pas à devoir se sevrer, et par conséquent, de souffrir encore plus. La facilité, c'était ce qu'il avait choisis. Alors non. Il n'était pas addict. Pas dans son esprit. Alors, s'il enchaînait substances sur substances, sans jamais s'arrêter, ça n'était pas parce qu'il ne pouvait pas, mais parce qu'il ne voulait pas. Il n'était prisonnier de ces substances. Il était libre. Libre de faire le choix qu'il voulait. Et il optait toujours pour le même choix. Consommer. D'abord, il avait commencé par l'usage récréatif des médicaments, pour découvrir ensuite les effets des drogues "communes". Et récemment, le pire était entré dans vie. Des drogues bien plus dures. Bien plus agressives. Bien plus addictives. Comme s'il n'était pas assez addict comme ça. Comme s'il avait besoin de cumuler les addictions. Et, même dans cet liberté illusoire, il trouvait son bonheur. Un bonheur aussi chimérique que sa liberté. Car il n'était ni libre, ni heureux. Il ne vivait plus, il en donnait seulement l'impression.
"Heath, tu es perdu. Perdu entre ta réalité, et celle de ce monde. Tu ne sais plus ce qui est vrai, ni ce qui est faux. Perdu, tu es perdu. Et là encore, tu te voiles la face. Vas-tu comprendre, un jour, que tu es prisonnier? Prisonnier des chaînes que tu as-toi même créées. Heath, regardes-toi. On peine à croire qu'une âme vis encore là-dedans. Ça n'est plus toi, et inconsciemment, tu le sais."
"Retrace ton histoire. Retrace-la pour te rendre réellement compte de la vérité. Comprends-toi, et ne arrête de te renfermer dans ces mensonges."
Heath a toujours été sage. Oh oui, peut-être même parfois trop sage. En réalité, dès son plus jeune âge, notre garçon a hérité quelques problèmes d'humeur, mais aussi de comportements. Mais ça n'était rien de grave. De l'anxiété, et des états mélancoliques, non pas au sens clinique du terme, fort heureusement. Il avait toujours été un peu plus pessimiste envers lui-même, et se sentait souvent triste. En grandissant, cet état ne s'était pas forcément amélioré, mais n'avait pas non plus empiré. Tout était resté constant. Son anxiété, quant à elle, avait eu tendance à prendre un peu plus de poids dans sa vie. Mais il n'y pouvait rien, il était fait ainsi. Pourtant, il avait des amis, une famille des plus banales. Alors, pourquoi vouloir fuir une mélancolie qui ne rongerai même pas sa vie, à un point où vivre en devenait insupportable? Car, à l'entendre parler, cet état était réellement insupportable. Un sentiment bien trop grand pour un être aussi fragile. Il ressentait tout beaucoup trop fort. La moindre petite tristesse, et son cœur était prêt à lâcher. Alors, cette peine si immense qu'il voulait fuir, n'était en réalité pas si infernale que cela. Dérangeante, certes, mais pas au point de vouloir la fuir à tout prix. En réalité, ce qu'il avait d'abord voulu fuir, c'était son anxiété sociale. C'était cela, pour Heath, le plus invivable. La peur du regard des autres. En public, il n'était vraiment pas à l'aise. Cette constante impression d'être jugé, d'être observer, d'avoir l'air bizarre, ou que les autres ne l'apprécie pas... Ça lui rongeait un peu sa vie. Même s'il avait des amis, il n'osait que très rarement sortir avec eux. Alors, un jour, il avait décidé d'arriver sous anxiolytiques au lycée. C'était à la fois sa meilleure et sa pire idée. Comme inhibé, il avait oublié toutes les angoisses qu'il ressentait en public. Il était alors apparu comme plus décontracté, plus tranquille. Alors, une fois par semaine, il se pointait au lycée, avec une quantité assez important d'alprazolam dans le sang. Et à chaque fois, c'étaient ses meilleures journées. Plus d'angoisse. Plus l'anxiété de parler devant une foule d'individus, les yeux rivés sur lui. Il se sentait libre. Et de plus en plus, il avait commencé à se faire des amis. Il aurait pu s'arrêter. Il aurait même dû achever son petit jeu. Mais non. Il avait enchaîné avec d'autres médicaments. Et en découvrant que certains le débarrassait complètement de ses états mélancoliques, le jeune homme était comblé. Tout ce qui pouvait le mettre dans un état d'extase, il prenait. Tout ce qui pouvait le détendre, il prenait aussi. Ceci dit, personne n'avait jamais eu connaissance de ses plaisirs interdits. Ou du moins, par pour cet usage détourné des médicaments. Car fumer du Cannabis, on l'avait vu faire. Mais c'était en soirée. C'était normal. Personne ne se doutait qu'à l'abri des regards, Heath, l'ancien enfant introverti et calme, se transformait en un véritable monstre affamé de ces substances miraculeuses. Avec ces substances, il s'était découvert un nouveau lui. Un nouvel être qui lui plaisait bien plus que l'ancien. Plus de tristesse. Plus d'anxiété. Alors, pourquoi arrêter?
"- Heath, tu es sûr que tout va bien? Tu restes souvent enfermé dans ta chambre, et tes humeurs sont si variables...
Si quelque chose ne va pas, tu peux me le dire, tu sais?
- Arrête, maman! Je vais très bien, lâche-moi!"
Si aucun de ses camarades ne remarquait un tel changement dans l'humeur du jeune homme, c'était cependant à la maison que les choses différaient. D'abord, il restait enfermé jour et nuit dans sa chambre. Il ne pouvait pas laisser ses parents deviner qu'il était sous les effets de substances illicites. Cependant, lorsqu'il était contraint d'en sortir, s'il n'était pas drogué, le jeune homme était irritable. C'est à partir de ses 19 que la mère du jeune homme avait remarqué un changement considérable dans le comportement de son fils. D'ailleurs, il n'avait pas eu son bac du premier coup. Le jeune homme a dû redoubler, pour pouvoir l'obtenir. Mais à cet âge, il n'était pas encore au stade de l'addiction. Même si elle commençait à s'installer doucement, tout n'était pas encore perdu. Tout aurait pu basculer. Heath aurait pu changer son destin, en commençant de bon pieds ses études supérieures. Mais non. Ça n'était pas le choix qu'il avait fait. Il avait préféré choisir de s'abandonner dans la drogue, plutôt que dans les études. Mais ce choix, l'avait-il réellement pris de pleine conscience, ou était-ce la première manifestation du démon qui commençait à le hanter? Le jeune homme vous dira que c'était de son plein gré qu'il avait délaissé les études. Enfin, "délaisser" était un vaste mot. Heath était inscrit dans une fac de sociologie. C'était un peu par dépit. Parce qu'en réalité, il ne que quelques cours. La plupart du temps, il traînait avec quelques uns de ses amis de la fac, toujours dans un état second. Personne ne pensait une seule seconde que le jeune homme était drogué, ni même qu'il était complètement tombé dans l'addiction. Car oui. À ses 20 ans, c'était l'ultime coup que son démon venait de lui donné. Elle était là, l'Addiction. 20 ans, et déjà dépendant d'une multitude de substances. Dépendant de l'état que provoquait ces substances. Mais qui le savait? Personne. Même pas lui. Car il se noyait dans son mensonge. Un mensonge dont il ne s'avouerai jamais la vérité. Mieux valait garder la belle illusion, plutôt qu'une triste réalité, n'est-ce pas?
"Ce rythme, écoute-le. Il résonne en toi, tu ne peux l'ignorer. Tu veux le faire taire? Alors reprends ces pilules. Ou cette poudre. Ou fumes ça. C'est le seul moyen pour calmer cet air qui se joue inlassablement en toi. Ce sont les seules options pour faire taire ces horribles paroles. Addiction. Addiction. Mais regardes, tu as le choix. Tu n'es pas prisonnier, les choix pour faire taire ce rythmes sont multiples. Alors, consomme, car c'est la seule façon de calmer l'addiction."
21 ans. Aujourd'hui, Heath venait d'atteindre ses 21 ans. Cela faisait presque quatre ans que la drogue était entré dans sa vie. Presque deux ans maintenant qu'il ne passait plus un jour sans. Ses études? Il avait tout arrêté. Il faisait croire à ses amis qu'il suivait toujours un cursus de sociologie. Mais en réalité, il n'allait plus du tout en cours. Pire encore qu'avant. Pas même un pieds. À la place, il avait un petit travail en tant que barman. Parce qu'il devait payer sa drogue. Retourner chez ses parents? Non. De toute façon, il n'avait plus aucun contact avec eux. Il s'était isolé de presque tout le monde. En soirée? Il n'y allait presque plus. Parce que tout le monde semblait avoir trouvé leur voix. Chacun semblait s'être épanoui dans sa vie. Heath, lui, avait trouvé sa seule raison de vivre. Sa seule raison d'exister. La drogue. Ces substances merveilleuses qui le transportaient dans son vrai corps. Parce qu'il était persuadé de n'être réellement lui-même que lorsqu'il était dans cet état second. C'était finalement, pour lui, son état premier.
Son anniversaire, il ne le passait pas seul. Ses amis lui avait organisé une fête. Alors, à tous ces gens, Heath allait devoir mentir. Mentir sur sa santé, sur ses études, et sur tous les pansements qui couvraient son corps. S'il se disait en forme, physiquement et mentalement, s'il le faisait croire à ses amis, et à lui-même, ça n'était pourtant vraiment pas le cas. Détruit, fatigué, à bout de force... Se tenir debout était presque trop difficile pour le jeune homme. Mais ça n'était pas grave. L'opium qui se rependait dans ses veines pour agir sur le cerveau provoquait un effet si agréable que tout le reste lui était égal. Alors, il souriait. Il souriait à tous ces individus, venus spécialement pour lui fêter un joyeux anniversaire. Oh, joyeux, il ne pouvait pas ne pas l'être. Il se sentait bien. Intérieurement, il vivait à nouveau. Il pouvait sentir cette extase infinie se déployer dans chacun de ses membres fragiles. Alors, les hématomes douloureux et les cicatrices pénibles qui se cachaient timidement sous les compresses ne lui provoquait plus le moindre maux. Il était là, au milieu de tous ces gens, le sourire aux lèvres, comme s'il n'était pas prisonnier de lui-même. Parce qu'il ne l'était pas. Non, il se sentait libre. Libre de vivre, libre de choisir, et libre d'être heureux. La liberté, c'était d'obtenir le bonheur, il en était persuadé. Et actuellement, ce bonheur, il l'avait. Il le sentait, déferler en lui, comme si une vague de sensations agréables se déchaînait dans son corps. C'était merveilleux. Et c'était pour cela qu'il vivait. Pour sentir cette joie. Il s'était trouvé. Alors, non, il n'était pas addict. Car il avait le choix. Le choix d'être heureux, ou malheureux, comme il l'avait toujours été. Et honnêtement, qui choisirait la tristesse au bonheur? Alors, même si ce bonheur n'était peut-être qu'illusoire, ça n'était pas grave. Car il était heureux. Et l'opium continuerai de couler dans ses veines, comme tous les autres produits qui tomberai sous sa main assoiffée de bien-être. Sa seule question en tête était la suivante: que prendrais-je après ça?
"Et tout recommencera à nouveau, ce cercle éternel ne peut être rompu. Je suis prisonnier de mon bonheur illusoire, et pourtant, je refuse d’admettre cette affreuse vérité. Mais que puis-je y faire? Le cercle est clos, et jamais plus je ne pourrais m'enfuir. Et vous savez quoi? Je ne veux même pas le quitter. Mon bonheur illusoire me plaît plus qu’un malheur véridique"