Amberiel Alazard
Pourquoi attendre que les choses viennent à soi, lorsqu'on peut les obtenir par soi-même, avec ne serait-ce qu'un minimum de volonté? J'ai décidé de ne pas attendre, mais d'agir. Et je ne ferai pas chemin arrière. Mon choix est fait, et je ne suis pas désolé!
Il avait trop attendu. Et d'attendre, il n'en pouvait plus. Il n'avait jamais aimé attendre. Un enfant impatient, c'était ainsi qu'on le décrivait. Mais Amberiel ne s'en cachait pas vraiment. L'impatience faisait partie de lui. Alors, pourquoi la renier? Le jeune homme s'était presque toujours montré d'une impatience infernale. Rester assis deux minutes, sans bouger? Très peu pour lui. S'il n'en avait pas envie, alors, il n'en faisait même pas l'effort. Insolent, impoli, impertinent, effronté... Tout cela c’étaient des adjectifs qui semblaient le qualifier à merveille. Des adjectifs que tout le monde employait pour parler du jeune prince. Mais, à sa façon, le jeune homme était seulement audacieux. Amberiel préférait cette option. Il le savait, il était intelligent. ​Malgré les apparences, il comprenait parfaitement comment ce monde fonctionnait. Seulement, il ne voulait pas donner ce qu'on attendait de lui. Après tout, lui avait-on donné ce que lui, avait toujours attendu d'eux? Ce qu'il avait attendu de tous ces adultes, beaucoup trop occupés pour s'occuper du jeune prince? La réponse était négative. Et pourtant, il n'avait pas demandé beaucoup. Ou du moins, avant de comprendre que cette seule chose qu'il demandait, jamais on ne la lui donnerai. Et cette chose, elle était pourtant bien simple... L'attention. Une attention que jamais il ne reçut, malgré tous les efforts qu'il avait placé pour obtenir ne serait-ce qu'une parole douce et remplie de gentillesse, un câlin, une séance de jeu... Mais non. Toute son enfance, il l'avait passé seul. Seul, sans frère ni sœur pour s'amuser avec lui. Seul, dans cet immense château où rien d'amusant ne se passait. Tout était si ennuyant, et personne ne faisait aucun effort pour s'occuper du jeune garçon en manque d'attention qu'il était... Oui, le jeune prince était seul, plongé dans une solitude frustrante, si bien qu'il avait fini par accepter toute sorte d'attention, même si ça n'était souvent pas de l'attention au sens commun du terme. Reproches, cris de menaces, tentatives de disciplines, et punitions devinrent rapidement une source d'attention de choix. Alors oui, c'est en étant lui-même, en étant cet enfant désobéissant, insolent et absolument infernal que le garçon avait réussi à obtenir ce qu'il avait toujours voulu. L'attention lui était donné, et c'était tout ce qui importait. Enfin, du moins, pendant un moment...
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"Cet enfant est insolent. Il est infernal. Et c'est lui, ce petit effronté, qui devra succéder au Roi? C'est à lui qu'on va donner le trône? À 17 ans, il n'est toujours pas capable de prendre ses responsabilités en main! Amberiel n'accepte pas le moindre ordre qu'on lui donne, s'amuse à toujours contredire ceux qui affirment quelque chose avec lequel il n'est pas d'accord, et ce, même s'ils ont raison. C'est comme s'il s'amusait à contredire! Oh, et je ne vous parle même pas lorsque c'est une personne d'autorité qui lui parle! Bon sang, il a 17 ans. Ça n'est plus un comportement acceptable. Et d'ailleurs, ça n'a jamais été acceptable, surtout pour un prince!"
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Mais ​ses nourrices en avait rapidement eu marre. Et, encore maintenant, elles n’en pouvaient plus de lui. Les domestiques non plus. L’attention qu’il recevait par les cris, les punitions, et par tout ce qui allait avec ses innombrables bêtises et ses comportements inacceptables, avait rapidement diminuée, jusqu’à devenir, à nouveau, complètement absente. La stratégie qu’il avait trouvé pour recevoir cette attention s’était complètement évanouie. Et désormais? Personne n’en pouvait plus de lui. Parce qu'il n'avait aucune retenue. S'il avait quelque à dire, ou à demander, alors il le faisait. De toute façon, on lui acceptait tout, désormais. Absolument tout. Parce qu'ils étaient obligés. Après tout, s'ils n'obéissaient pas à ses ordres, s’ils n’acceptaient pas ses requêtes, ils auraient à subir la colère du jeune Amberiel. Et c'était probablement la dernière des choses dont ils voulaient s'occuper. Et ça, le jeune prince l'avait bien compris. Ces domestiques, étant tellement débordés, n'avaient pas le temps de s'employer à la garde d'un enfant aussi pénible que lui, ni même de le remettre en place lorsqu'il le fallait. Et de ça, le jeune prince en avait abusé. Puisqu'ils ne voulaient pas avoir à gérer ses crises de colères, alors ils donnaient à Amberiel tout ce qu'il voulait. Au final, il ne cherchait même plus d’attention. Puisqu’on pouvait lui donner tout ce qu’il voulait, autant en profiter, non?
- Vous pensez que ce garçon, qu'Amberiel aurait pu... Enfin... Tuer son père?
- Mais non. Jamais il n'aurait fait une chose pareille!
- Mais tout de même. Il n'a pas pleuré, à l'annonce de cette nouvelle, pourtant bien triste!
"Enfant gâté? Non, je suis seulement intelligent!" Ah ça oui, on ne pouvait le nier, ce gamin était intelligent. Il comprenait vite. Seulement, il utilisait cette vivacité d'esprit à des fins purement personnelles. Des autres, il n'en avait pas grand chose à faire. Il s'était toujours vu seul, au milieu d'une foule d'individus, tous plus occupés les uns que les autres à des tâches bien plus importantes que donner de l'attention au jeune prince. Alors, cette solitude, il avait fini par l’apprécier. Car malgré tout, il ne la voyait plus comme quelque chose de négatif. Après tout, en étant seul, il était libre. Libre de ne penser qu'à soi. Libre d'agir comme bon lui semblait, sans avoir à se soucier des autres. Libre d'ignorer les remarques désobligeantes qu'on lui faisait sur son comportement. Au final, seul, au milieu de cette foule de domestiques, il était plus libre que n'importe qui. Même prisonnier dans cet immense château, Amberiel était libre. Plus que quiconque ici, il vivait. Il n'avait pas d'obligation, et mieux encore, c'étaient les autres qui avaient des obligations envers lui. Alors, si ça, ça n'était pas être libre... Qu'était-ce la liberté?
"Sa majesté ne respire plus! Mon dieu, c'est terrible! Appelez un médecin, vite! Vite, il est à terre et ne bouge plus! Dépêchez, je ne sens plus son pouls!"
Mais c'était trop tard. Bien trop tard. Personne n'avait pu le sauver. Personne n'avait pu sauver cet homme, qui s'était écroulé au sol, après avoir craché ses poumons. Enfin, pas littéralement. Mais la toux avait été si intense que la presque totalité du personnel avait été alerté par les bruits inquiétants qu'émettait la gorge du Roi. Rapidement, la triste nouvelle avait été relayée: Leander Alazard, avait péri dans de mystérieuses conditions. Car, il était évident pour tout le monde que leur Roi ne s'était pas étouffé, et encore moins mort de manière naturelle. Quelque chose n'allait pas, et c'était une certitude pour chacun des employés du château. Mais, le fait était là. Le Roi était mort et, à tout juste 18 ans, Amberiel venait de perdre son père. Amberiel, cet enfant insolent, cet enfant qu'aucun des domestiques ne voulait voir sur le trône, allait finalement récupérer le noble titre de Roi. C'était impossible. Cet enfant, qui n'avait même pas pleuré la mort de son père, cet enfant qui ne respectait absolument rien... Non, il ne pouvait décemment pas gagner cette place. C'était impossible, et chacun des employés cherchaient un moyen légal de ne pas le faire monter, du moins, pour le moment. Lui attribuer un conseiller? Un Roi de remplacement, en attendant que le jeune prince soit réellement apte à gouverner? Personne ne savait. Mais dans tous les cas, c'était une évidence: il ne pouvait pas accéder au trône. Pas avec le comportement qu'il avait.
Nombreux étaient ceux qui émettaient toutes sortes de théories à propos de la bien triste disparition du Roi. Et ils étaient bien plus nombreux encore dans l'enceinte même du château. Certains domestiques étaient persuadés de l'implication du jeune prince dans cette histoire de décès. Un homme ne mourrait pas innocemment, par une simple toux. Alors, à quoi était due cette toux? À une maladie? Non. Le matin, et un bon nombre d'employés avaient pu le témoigner, Sa Majesté allait à merveille. Alors, la seule raison possible était l'assassinat. Oui, à cette théorie, beaucoup y croyait. Et certains allaient bien plus loin: l'assassin était toujours prisonnier dans ces murs, et pire encore, il pourrait bien faire partie de la famille Royale. Certains pointaient discrètement le jeune Amberiel du doigt. Pour certains, il était le coupable. Après tout, il n'avait pas pleuré. Et ça, c'était bien trop suspect pour être ignoré, n'est-ce pas? Mais l'intéressé, lui, ignorait ces accusations. Non, il n'avait pas versé ne serait-ce qu'une larme. En même temps... Pourquoi faire? Pourquoi pleurer pour un homme dont il ne s'était jamais senti proche? Pourquoi pleurer pour un homme qui ne lui avait jamais porté la moindre attention? Aurait-il pleuré pour la mort de son fils, lui? Probablement pas. Alors, non. Non, il n'avait pas joué dans l'hypocrisie. Il n'avait pas laissé couler ces fausses larmes de tristesse sur ses joues. Et puis, après tout, peut-être qu'il n'était effectivement pas totalement étranger à cette nouvelle mais... Qui sait? Dans tous les cas, la merveilleuse nouvelle en face de la triste était bien devant lui: il allait devenir Roi! Et ça, c'était bien tout ce qui importait. Oui, en secret, apprendre la mort de son père avait fait naître un large sourire sur le visage du jeune homme. Un sourire que personne n'avait vu. Un véritable sourire de joie, qu'il avait bien eu du mal à cacher.
"Désormais, rien ni personne ne pourra m'empêcher de faire ce que je veux! Désormais, je suis Roi! Roi de tout un Royaume, et maintenant, mes ordres devront être respectés, sans la moindre résistance. Tout le monde sera à mes pieds, et au petits soins avec moi! Merci, père!"